Parce que la gauche française, et particulièrement le parti socialiste, notamment dans sa frange la plus radicale, vit sous les totems de l’élan révolutionnaire de 1789 et de la lutte des classes, et craint de s’en voir déposséder à sa gauche, notamment par le parti communiste jusqu’à la chute du mur de Berlin, et désormais par l’extrême gauche, elle se cramponne en économie à des dogmes marxistes que la mondialisation et les nouvelles technologies ont rendus obsolètes. Tous jouent à « Plus à gauche que moi, tu meurs ». Ce faisant, elle manque son aggiornamento qui lui permettrait d’entrer de plain-pied dans le monde moderne. Car, le monde a considérablement changé, les Trente Glorieuses sont dernière nous, l’Etat n’a plus les moyens de jouer la Providence et nous assistons à une véritable guerre économique mondiale où les entreprises les moins compétitives sont condamnées à disparaître ou à se délocaliser.
Dans ce contexte, il est difficile pour un gouvernement, et notamment pour un gouvernement de gauche de s’appuyer sur une majorité solide pour entreprendre les réformes de structures qui s’imposent. Or, elles s’imposent si l’on veut que l’Etat allège le poids des prélèvements obligatoires sur les ménages et les entreprises et se dégage de l’emprise des marchés financiers. Ces prélèvements rapportés au P.I.B. en représentaient en 2012 45,3%.[1] Et malgré tout, cela ne résout aucunement le problème de l’endettement du pays.
Il faut savoir qu’en 2013, la dette publique de la France, (1875 milliards €) atteignait les 95% du P.I.B. [2] La seule charge du paiement des intérêts de la dette (47 milliards €) dépassait le budget de l’Education Nationale (45,7 milliards)[3]
En France, les dépenses publiques atteignent 57,1% du P.I.B., soit plus de 10 points au dessus de la moyenne des autres pays de la zone euro.[4]
Lestée de ces handicaps, la France s’affaiblit et se déclasse. Son industrie se délite par pans entiers et elle est sous la dépendance des marchés financiers. Par chance si l’on peut encore utiliser ce vocable, les taux pratiqués par ces derniers sont actuellement au plus bas.
Et malgré tout cela, les apprentis sorciers que sont l’extrême gauche, les « frondeurs » et l’extrême droite feignent de penser que tout est encore possible comme si nous vivions encore à l’intérieur de frontières protectrices sous le rythme des Trente Glorieuses et qu’on pouvait distribuer sans compter avant de produire des richesses, ressassant sans répit les vieilles recettes.
Au Parlement, leurs représentants adoptent des postures de blocage. On vient de voir lors du vote de la loi sur le travail dite loi El Khomry comment ils ont tenté de gripper la machine parlementaire en déposant plus de 5000 amendements, poussant l’exécutif à utiliser l’articla 49-3 pour sortir du piège. Et eux de pousser alors des cris d’orfraie en prétextant dénoncer un passage en force.
Or, l’article 49-3 existe bien dans la Constitution, et il a été prévu justement pour permettre au gouvernement de se dégager éventuellement d’une manœuvre de blocage. Michel Rocard l’a utilisé maintes fois en son temps (28 fois), mais avant lui Maurois et Beregovoy, la droite aussi (Balladur, Raffarin). Si une telle prérogative semble s’apparenter à un quelconque autoritarisme pour certains, il faut militer pour son abrogation. Mais pour l’heure, c’est une pratique constitutionnelle, elle doit faire partie intégrante de l’exercice gouvernemental sans qu’il faille s’en alarmer faussement.
Au demeurant, en réponse à cette prérogative gouvernementale, la Constitution reconnaît aux opposants le droit de déposer une motion de censure. Si le conflit débouche sur une dissolution de l’Assemblée Nationale, c’est le peuple qui est appelé à trancher. Tout cela est parfaitement démocratique. Toutes les autres arguties ne sont que postures. Et les frondeurs ou leurs partisans qui menacent de voter la motion de censure de la droite ou d’en déposer une de leur propre initiative ne font que jouer une triste comédie, assurés en bons comptables qu’ils sont de ne pas déboucher sur un vote positif. Et le risque même aléatoire de dissolution est pour eux un salutaire rappel à la raison.
Le moment est peut-être venu pour tous ceux qui se reconnaissent dans une certaine vision progressiste, disons de gauche, de la société de se définir par rapport au monde actuel et au fonctionnement de son économie et de son modèle social, compte tenu des profonds bouleversements survenus depuis plusieurs décennies. A monde nouveau, forcément des règles nouvelles. D’autres à travers le monde ont fait leur révision. Tony Blair au Royaume Uni n’avait-il pas déclaré qu’ » il n’y a pas des solutions de gauche ou des solutions de droite, mais des solutions qui marchent et des solutions qui ne marchent pas » ? Et Deng Xioa Ping en Chine pourtant communiste affirmait « Peu importe que le chat soit noir ou gris, pourvu qu’il rapporte des souris ». Sage pragmatisme.
[1] Hubert Vedrine : « La France au défi » Ed. Fayard
[2] Id
[3] Id
[4] Id