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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:21

Les Japonais s’esoldats-japonais.jpgmparent de Hanoï

C’est donc peu de temps après que toute la famille eût quitté Lon-Chau que survint  l’agression japonaise contre les troupes françaises, le 9 mars 1945.

9 Mars 1945: date fatidique dans mon esprit, lorsque je me remémore le temps de l’enfance.

Nous avions déménagé depuis peu, après un séjour assez prolongé chez mon grand-père à la suite des bombardements alliés sur le Tonkin, au cours desquels notre maison avait été détruite. Nous habitions désormais dans un quartier neuf, une maison au style nouveau dont l’architecture semblait me plaire. En outre, j’habitais pour la première fois une maison que nous étions les premiers à étrenner. L’adresse elle-même me semblait d’une résonance magique: rue Alexandre de Rhodes.

Je me souviens particulièrement que la cage d’escalier qui menait à l’étage était pourvue à mi-hauteur d’une lucarne qu’on appelait oeil-de-boeuf. J’entendais pour la première fois ce mot, et d’en voir notre maison pourvue me donnait le sentiment que ce mot avait été inventé pour nous.

Les Japonais avaient décidé d’occuper l’Indochine pour faciliter l’approvisionnement de leurs forces dans le Sud Pacifique et pour mieux contrôler les voies menant vers le Yunnan en Chine du Sud. Ils avaient donc imposé leur présence à la puissance coloniale française, et l’Amiral Decoux, gouverneur français en Indochine, s’en était accommodé, vaille que vaille.

Mais les autorités japonaises acceptaient mal le maintien à leurs côtés d’une autorité française qu’ils soupçonnaient à tort ou à raison d’être complice des alliés chinois, et donc des Américains. Leurs craintes étaient du reste confirmées par une activité sourde de résistance entretenue entre des groupes de colons français d’Indochine et les forces alliées de l’autre côté de la frontière chinoise.

Pour mettre fin à cette situation à leurs yeux ambiguë et dangereuse, ils décidèrent donc de neutraliser par la force les armées françaises présentes sur le sol indochinois. Ce fut fait par surprise dans la nuit du 9 au 10 Mars 1945. Le canon tonna. La citadelle de Hanoï subissait l’assaut. 

Je me souviens qu’en pleine nuit, alors que nous étions déjà couchés, des coups redoublés retentirent au rez-de-chaussée à notre porte.  Puis, des bruits confus et des éclats de voix retentirent. Plus tard, en ouvrant les yeux, j’eus la surprise en même temps que la frayeur d’apercevoir au-dessus de mon visage celui d’un officier japonais qui tenait à la main un sabre menaçant. En proférant des paroles énergiques dans un français correct qui laissait deviner un esprit cultivé, il ôtait de la pointe de son sabre la couverture sous la-quelle je m’étais prudemment blotti.

A ses côtés, j’apercevais le visage de ma mère, dont les yeux écarquillés laissaient transparaître une immense frayeur difficilement contenue. Mais j’étais étonné de ne pas apercevoir mon père. Le domestique, probablement réveillé comme nous tous en sursaut, ouvrait avec empressement sur les ordres de l’officier les portes des pièces et des armoires. D’autres militaires accompagnaient celui qui paraissait être le chef de l’expédition. Leurs uniformes dégageaient une odeur de poussière et de graisse d’armes caractéristique des troupes en opération.

Comme mes frère et soeur, je restais blotti craintivement dans mon lit, tandis que l’escouade poursuivait sa perquisition à travers toute la maison.

A un moment, j’entendis ma mère déclarer en réponse à une question de l’officier, que mon père avait rejoint son service dès le déclenchement des hostilités, la veille au soir, ce qui me surprit, puisqu’à ma connaissance, nous nous étions tous mis au lit peu après que le fracas des canonnades se soient raréfiés.

Enfin, la troupe acheva sa perquisition et quitta la maison. Comme une volée de moineaux affolés, nous jaillissions de nos lits et rejoignions notre mère, l’accablant de questions. Alors, nous vîmes notre père descendre prudemment par la trappe du grenier, où il s’était réfugié. En fait, il avait cru à l’arrivée des soldats, qu’on était venu l’arrêter. Il participait clandestinement à des activités de résistance, et pensait qu’il avait été dénoncé.

Dès le lendemain, mes parents obtenaient à nouveau de mon grand-père l’autorisation de nous réfugier provisoirement chez lui, en attendant que la bourrasque prît fin. Pour la deuxième fois, nous allions vivre dans cette maison qui pour moi représentait une sorte de paradis d’enfance.

En réalité, la liberté dont bénéficiait mon père après le coup de force japonais n’était plus qu’une question de sursis. Rapidement, il fut convoqué par les autorités japonaises et interné jusqu’à la libération de l’Indochine, en Septembre 1945

Alors, pour les enfants que nous étions, allait commencer une existence un peu surnaturelle et en même temps imprégnée d’incertitude ou d’inquiétude diffuse. Il nous arrivait parfois, sur les indications d’individus louches ou en quête de gratification pécuniaire, d’apprendre que notre père était employé en compagnie d’autres prisonniers, à décharger au bord du Fleuve Rouge des convois de munitions. Nous nous sommes rendus sur place plusieurs fois, dans l’espoir de le revoir et de lui adresser nos encouragements. Cela se réalisait quelquefois. Il me revient par exemple le souvenir d’un jour où, alors qu’il était en train de décharger des caisses, il avait quitté le groupe de corvée pour venir nous embrasser. La sentinelle japonaise de faction l’avait alors rattrapé et violemment frappé avec la crosse de son fusil et à coups de pied pour le forcer à rejoindre le groupe. Mon esprit d’enfant en avait éprouvé un sentiment très fort de révolte et d’humiliation. Mon père, qui pour moi avait toujours symbolisé l’autorité et la force, venait de subir un traitement que jusque là, seuls ceux que les colons appelaient du haut de leur superbe “les indigènes” enduraient de la part de leurs “maîtres”.

Je ne soupçonnais pas encore que ce geste devait être annonciateur d’une rupture capitale avec la période qui suivrait la fin de cette guerre. La décolonisation n’était plus très loin.

 

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