Cette distinction pour laisser croire à une différence de nocivité ou d’aliénation entre les drogues relève au mieux d’un angélisme benêt, au pire d’une vision proche d’une cécité désastreuse, voire d’une duplicité funeste.
Drogue douce le cannabis ou la marie-jeanne ? Où réside la douceur ? Dans la dangerosité ou dans l’effet d’aliénation ? Peu importe. A plus ou moins longue échéance, la dépendance et l’escalade opèreront. Et les ravages sinistres suivront. Des spécialistes ont démontré combien la prise régulière ou le mélange à d’autres produits nocifs menait au désastre. Et nombre d'accidents de la route sont là pour l'attester.
Du reste, prenons l’exemple du tabac et de l’alcool, qui sont des drogues aussi, ni douces ni dures, mais des drogues à part entière.
Personne ne contestera que l’usage de ces deux derniers produits, d’abord occasionnel, pour devenir insensiblement régulier conduit immanquablement à la dépendance. Le jeune qui fume sa première cigarette pour faire le fiérot comme ses aînés pourrait sincèrement jurer ses grands dieux qu’il s’arrêtera quand il voudra. Plus tard, il regrettera amèrement avoir mis le doigt dans l’engrenage et d’être désormais accro. Même piège pour l’alcool. Un verre de vin ou de whisky à l’occasion, quoi de plus banal et d’anodin, voire de convivial ? Plus tard, parce qu’on ne s’est pas méfié ou qu’on a connu un passage difficile, on ne peut plus se passer de son contingent d’alcool de toutes sortes, vins, whisky, bière ou autres béquilles censées libérer du stress ou de la déprime.
De la même manière apparemment anodine, la première bouffée de cannabis, comme les bouffées occasionnelles suivantes paraîtront d’une banalité consternante. Mais alors, pourquoi commencer ? Et qui peut jurer que si survenait un mauvais passage dans le cours de l’existence, les prises ne se feraient pas insensiblement plus fréquentes, puis plus régulières, conduisant inévitablement à une dépendance irrésistible ?
L’engrenage est alors engagé. Et l’accoutumance agissant, qui peut garantir qu’on ne s’acheminera pas ensuite vers d’autres produits plus forts et plus excitants? En l'occurrence, la preuve en est qu’on est passé du tabac ou de l’alcool devenus des produits trop banals et monotones à des substances qu’on veut faire semblant de croire douces, mais apparemment plus excitantes, première étape d’un processus inéluctable si on cède à cette démarche.
Donc, douces ou dures, des drogues doivent être prohibées pour ce qu’elles sont, des drogues, sournoisement accrocheuses. Et ce n’est pas parce que le tabac et l’alcool sont en vente libre qu’il faut y ajouter une drogue de plus.
Bien entendu, tabac et alcool étant des drogues, pourquoi ne pas les interdire ? Idéalement, cela serait souhaitable. Mais les choses étant ce qu’elles sont, les intérêts économiques en jeu désormais si importants, il est politiquement et économiquement inimaginable d’engager brutalement une initiative dans ce sens. Au demeurant, n’y a-t-il pas de la part des autorités publiques une certaine hypocrisie à montrer leur ferme détermination à lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme tout en favorisant leur production et en percevant au passage une taxe juteuse ?
En tout cas, quel que soit l’état de la question, rien ne serait plus néfaste que d’ouvrir la voie à une multiplication des drogues librement offertes à la consommation. Les circuits commerciaux se hâteraient de s’en saisir pour enclencher un phénomène de mode artificiellement entretenu et s’ouvrir un marché. Et le commerce illicite des autres drogues continuerait à prospérer.
L’Espagne et les Pays-Bas ont tenté l’expérience de la libéralisation des drogues dites douces : le constat est affligeant. Le nombre d’épaves en quête fébrile de la dose apaisante, à Séville ou Amsterdam n’a fait que s’accroître, et a fait apparaître en outre une délinquance urbaine liée à ce phénomène.
Quant au prétexte que la médecine recourrait au cannabis en certaines circonstances pour traiter certaines affections, signalons que la morphine et le curare aussi sont utilisés en médecine hospitalière, est-ce pour autant des produits inoffensifs dont la circulation et la consommation devraient être librement autorisées ?
On voit bien toute l’hypocrisie derrière laquelle se cache la démarche tendant à revendiquer la libéralisation de ces produits éminemment dangereux. Et voilà qu’à présent, revient publiquement la question de la libéralisation du cannabis et de sa taxation. Vous avez dit taxation ? Tiens, tiens, taxation ! Voilà qu’en ces temps de disette budgétaire, derrière le bonnet de la grand-mère indulgente point l’oreille du loup raquetteur.
Mais allons plus loin. A l'évidence, le commerce parallèle du cannabis dans les zones sensibles s'est considérablement développé, servant même de source de revenus de substitution conséquents pour des bandes désœuvrées qui assurent au passage par cette voie les moyens de subsistance de tout un quartier. Ne faudrait-il pas voir dans l'éventuel projet des autorités publiques de libéraliser le cannabis un moyen d'éradiquer « en douceur » son commerce clandestin, faute d'avoir su ou voulu combattre ce trafic avec énergie et détermination? Ce serait alors un cruel aveu de faiblesse, voire de faillite.